2016

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Balade à Bellevue

 

         BALADE A BELLEVUE  *(avec illustration de l'auteur)

            Six heures, je suis déjà debout. Derrière la remise, j’entends « huuu ! diaaa ! gliii ! ».C’est mon père : il est en train d’atteler le bœuf à la charrette. J’entends la chaîne glisser entre les fers du brancard. Le taureau meugle, les poules caquètent. A l’Est, un rayon de soleil vient percer les nuages et m’oblige à cligner des yeux.

           En ce matin, veille de l’Epiphanie, nous nous apprêtons à partir en week-end à Bellevue. Comme de coutume, quand l’année commence, nous rendons visite à la famille.

         Bien calés dans la charrette, nous quittons Roches Maigres au petit matin. Papa, le « chabouk 1» à la main, fait le cocher, maman est assise sur un tabouret à l’arrière. Mes deux sœurs se blottissent contre elle. Moi, debout à l’avant, je répète les ordres donnés par mon père pour stimuler le bœuf. Le chemin bitumé est plein de trous.  A chaque cahot, je m’agrippe à la barre du milieu pour rester en équilibre. Dans la descente, la charrette s’emballe.  Papa saute sur la chaussée, côté gauche et tourne la manivelle du frein. L’attelage ralentit dans un grincement aigu.

         Devant nous, le chemin se rétrécit. Sur notre gauche, des carcasses de voitures astucieusement entassées servent de clôture à un grand terrain appartenant à des tamouls. Le portail, large, en tôle froissée, laisse entrevoir une « salle verte 2». Une multitude de drapeaux à motifs découpés est suspendu à des fils . Sur notre droite, une énorme haie de « bois de lait 3» surplombe le chemin. Ces rameaux lourds entremêlés nous enveloppent soudainement dans une légère obscurité. L’air se rafraîchit. Quel endroit fantastique ! J’ai l’impression que la haie va se refermer sur nous au prochain virage. Enfin nous atteignons le plateau de « Maison Rouge ». Ici, le chemin de terre  bordé de vieux arbres rabougris file tout droit. Au bord d’une clairière, dissimulée par des « leskines 4» une cheminée fume encore le café grillé. Au bord de la route, des gamins nu pieds font la queue devant une fontaine pour remplir leurs récipients en fer blanc. A quelques mètres de là, des cochons noirs se vautrent  dans la boue. Plus loin, nous passons devant une petite maison en bardeaux .Dehors, un Monsieur en train d’astiquer sa moto nous salue. C’est Monsieur Jean, un ami de longue date, il nous voit souvent passer ici. Nous passons le radier de la ravine « Mouchoir Gris » et nous faisons halte au bassin décanteur  situé en face de l’ancien concasseur. Papa amène le bœuf s’abreuver. Ce bassin est alimenté par le canal Saint   Etienne. Il fournit l’eau à l’usine du Gol.

        Nous reprenons la route. Après un petit raidillon, nous traversons un grand pâturage semblable à la savane africaine. Dans le lointain, un panorama magnifique s’offre à nous : les montagnes verdoyantes, les champs de canne en damiers et l’immensité bleue du ciel. Nous sommes  à la plaine du Gol.

        Puis le « Gol Bacquet », le point d’eau où l’on peut abreuver le bétail. Juste après nous cheminons à travers champs sur route sinueuse. Nous passons devant un superbe manguier .Cet endroit nous est très familier, nous avons coutume de l’appeler « Mangue Rosalie », c’est ici que se trouve « l’habitation » les champs que cultive mon père. Suivent encore quelques virages en lacets bordé de « pieds la Ouette 5»  et nous arrivons au premier village de Bellevue, le lieu-dit « la cour ».

        La cour, c’est ici que vivent les colons, leurs cases sont pour la plupart couvertes de chaume et disposées en gradins comme des favelas .Ici la terre est rouge et poussiéreuse et à la moindre pluie le chemin peut se transformer en un torrent de boue. Soudain papa nous indique quelque chose  tout en haut de la colline. Une silhouette blanche se détache parmi le petit bois d’eucalyptus. C’est  « la Villa » dit mon père ici les gens la surnomme ainsi. C’est la  maison du « Gros blanc» autrement dit du maître du domaine. Voyez-vous ces fenêtres à petits carreaux, ces lambrequins finement ciselés, ce balcon à encorbellement. Quelle magnificence !

       Tonton André habite dans ces parages nous allons lui rendre visite. Arrivés chez lui toute la famille est ravie de nous revoir. Après l’apéritif  de bienvenue, il nous invite à visiter ses ruches. Mes sœurs ont peur des abeilles, elles ne veulent pas nous accompagner. Si je comprends bien, elles préfèrent rester avec leurs cousines à parler    « bigoudis et chiffons », pendant que maman papote avec tante Alice.

- « C’est là-haut ! » dit tonton. 

- « Faites bien attention à ne pas glisser ! » 

       En effet nous  escaladons un terrain escarpé à travers un champ de bananiers. Sur un replat du terrain nous entendons le bourdonnement des abeilles. Le souffle coupé et le cœur battant très fort, j’avance doucement derrière mon père qui s’approche des ruches. Brusquement une abeille frôle mon oreille. Pris de panique je me couche par terre.

- « Je ne veux plus y aller,  j’ai peur ! »

      Tonton nous demande de rester calme et de le regarder faire. Il enfile sa combinaison et son masque et allume un drôle d’appareil en tôle avec un soufflet. Papa est près de moi. Tonton s’apprête à enfumer la ruche.

- « Regarde ! Les abeilles s’éloignent ! » dit papa en les montrant du doigt.

       Moi, penché, la tête dans les épaules, je ne bouge plus. Je suis paralysé. J’imagine  mon oncle, cosmonaute en mission sur une planète inconnue. Ce jour- là, j’ai dégusté les meilleures gaufres au miel de ma vie.

      Il est déjà dix heures. Nous partons à présent chez  tante Jeanne et oncle Maurice. Ils n’habitent pas loin d’ici. A peine arrivé, le cousin Jean François qui nous attendait nous fait signe pour nous diriger vers le haut  du terrain là  où se trouve le  parc bœufs 7. La manœuvre s’avère délicate, la charrette doit négocier un virage serré et grimper une pente abrupte pour rejoindre l’enclos. Papa demande à tout le monde de descendre. Pendant ce temps, toute la famille est venue nous accueillir joyeusement à l’entrée de la maison. Quelque chose sur le toit attire mon attention : un fil tendu entre deux bornes en porcelaine fixée aux extrémités du faîtage.

- « Qu’est-ce c’est ce truc ? »

- « C’est l’antenne du  poste à Galène 8, dit maman, il appartenait à l’ancien propriétaire »

- « Il devait être riche pour avoir cette maison tout en bois couverte de bardeaux ! »

         Après les embrassades, nous voilà réunis au salon, petit verre de liqueur et boudoir9 à la main. Tout le monde se lève te se souhaite chaleureusement « Bonne année ». C’est l’occasion de raconter les dernières nouvelles et d’offrir les cadeaux. Les cousines Anise et Hélène se réjouissent en essayant une à une les robes offertes par maman et remercient  tout le monde d’un bisou. Dans la pièce voisine les cousins Jannick et Jean François s’affairent autour d’un tourne-disque bleu. Ils vont nous faire écouter le dernier tube de Johnny Hallyday. Dehors, sous la grande varangue attenante à la cuisine, les femmes s’empressent de mettre le couvert. Pendant ce temps, avec mon oncle, nous visitons le séchoir à tabac . C’est une sorte de grange, longue et haute avec des persiennes en façades qui servent à la ventilation. Dedans, il fait sombre et frais. Au-dessus de nous, à travers le lanterneau, les rayons du soleil viennent zébrer la paroi de planches. Les paquets de feuilles de tabac sont suspendus en alignement  serré. Il fait très chaud. Le soleil culmine dans le ciel. Nous allons bientôt déjeuner.

         Peu après à table, tonton Maurice récite une prière pour bénir le repas, nous observons un moment de silence. Puis les conversations reprennent bon train. Le service commence. Chaque plat est une surprise .En entrée, une salade russe et un rôti de porc finement épicé suivi de plats plus relevés « civet de canard » et « cari poulet »  servi avec du riz-maïs10et des « grains » le tout accompagné d’un rougail « bringelle »  bien pimenté. Je me suis gavé.

          L’après -midi après le café notre périple familiale continu. Nous voici donc à la « Ravine Fénoir » chez tante Laetitia. Ses enfants sont chez elle. Anastasie, Josette qui sont mariés et Marie Ange la plus jeune encore célibataire.

        Marie Ange nous emmène cueillir des mûres le long d’un sentier bordé de muguets. Je me souviens qu’au retour nous avions la langue toute mauve.

         Le soir nous reprenons la route à travers  les champs de cannes à sucre et nous atteignons enfin  le chemin Hubert Delisle. Là nous allons passer la nuit, chez tonton Henri. Ici le nom « Bellevue »prend tout son sens. Nous sommes devant un paysage grandiose. Le littoral  du sud de l’île de la réunion. Avec mes sœurs nous nous amusons à décrypter ses moindres détails. A l’Ouest, les dunes de sable de la « forêt de l’Etang-Salé. Devant nous tel un tapis : les champs de cannes brodés de cocotiers. J’aperçois des petites voitures défilant comme des fourmis vers le pont Mathurin. A gauche de l’eau scintille sous  le soleil couchant, c’est l’étang du Gol. Saint-Louis, paisible, médite sous le ciel en feu.

Tonton Henri brave homme est cultivateur. L’air jovial, le front dégarni, les épaules larges, c’est un sacré costaud. Je l’ai vu tout à l’heure portant de lourds sacs d’ananas dans le hangar. De son premier mariage il a  trois filles Solange, Lucienne et Sylvie. Malheureusement son épouse est décédée. Aussi, il y a deux ans, Il s’est remarié.

- « Avec Henriette ! ».

          Henri et Henriette, quelle coïncidence.

        Tante Henriette paraît un peu plus âgée que lui. Elle est fine, douce et très manuelle, elle vous tricote un pull en  un rien de temps. En cuisine, elle s’y connais aussi, la saveur de ses caris est inoubliable.

        Mes cousines sont très jolies, Sylvie aux grands yeux noirs, a des cheveux longs et lisses. Solange, plus jeune, la chevelure ondulée, lui ressemble un peu, très joyeuse elle plaisante toujours.

      Son fiancé s’appelle Antoine. Chaque dimanche, il passe la journée chez elle. Mes sœurs aiment un peu la taquiner à ce sujet.

- « C’est pour quand ton mariage Sylvie ? »

         Elle répond toujours : « j’ai encore le temps ! »

       Après le dîner tous les enfants se réunissent dans la petite cuisine à l’extérieur de la maison. Là au coin du feu, grand-mère Emilia nous conte des histoires de « P’tit Jean et Grand Diable ». A un moment elle nous parle de l’enfer où Grand diable jette les enfants. Elle prend des airs d’ogresse en se tenant debout au-dessus de nous .Elle brandit ses mains, les doigts acérés comme des griffes pour nous attraper. Nous sommes terrifiés. Les objets ont l’air de bouger dans la pièce. Le bois crépite, on dirait des coups de fouets. Les uns contre les autres nous frissonnons.

        Le lendemain matin, les grandes personnes vont à la messe, au village d’en bas : « La cour ». Moi, je reste avec les autres enfants de la famille pour jouer. Avec Serge, nous nous promenons le long du chemin. Il m’a montré comment attraper les caméléons. La technique est très efficace : il suffit de faire un nœud coulant avec l’extrémité d’une feuille de canne à sucre et de le glisser avec dextérité autour du cou d’un  lézard puis de tirer d’un coup sec. Après nous  le promenons en laisse. Nous nous amusons aussi avec des bais mauves cueillies au bord du chemin.

- « C’est avec ça, qu’on fabrique l’encre des écoliers ! » me dit Serge avec certitude.

- « Vraiment ? Répondis-je en tout cas, ça tâche bien les mains. »

- « moi je n’en suis pas si sûr, réplique un petit garçon plein de taches de rousseur. »

- « Je n’ai jamais vu personne vendre cette saloperie ! »

La messe est terminée. On voit les filles  arriver.

- «Tiens Sylvie à retrouver son Don Juan ! » dit Serge.

         Ils sont tous les deux bras dessus bras dessous et traînent les pieds de peur de rattraper les parents juste devant.

        Aujourd’hui  nous fêtons les rois. Dans le lointain, le clocher de l’église vient de sonner midi. Chez l’oncle Henri, le tables ont été dressées en plein air à l’ombre de grands avocatiers qui bruissent sous les alizées. Les invités sont déjà là.

         L’apéritif bat son plein. Quand, soudain, arrive sur le chemin en contrebas, un petit homme en costume noir un paquet à la main. Pour ne pas faire le tour par l’allée principale, il passe à travers le parterre de fleurs de tante Henriette. Tout à coup, il glisse sur le sol humide, et tombe le ventre en l’air dans le fossé. Tout le monde éclate de rire. Dans les invités quel qu’un demande :

« qui c’est ce Monsieur ? »

           C’est Marco le sacristain ! Il a dû boire un coup avec le curé !  Ce sacré personnage nous  a fait rire avec ses blagues à deux sous. D’ailleurs, cet après-midi-là, à la dégustation de la galette, c’est lui qui à trouver la fève, le veinard. S’il n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer, comme cette petite histoire qui j’espère vous a plu.

                                                                                                    FIN               (Gilbert Payet)

                 LEXIQUE :

   1    Chabouk : fouet 
  2    Salle verte : salle de réception en matériaux végétaux
  3    Bois de lait : Plantes de la famille des cactées
  4    Leskines : Plantes de la famille des cactées
  5    La ouète : arbre des régions sèches
  6    Gros blanc : homme riche, propriétaire terrien
  7    Parc bœuf : Corral à bestiaux
  8    Poste à galène : récepteur radio des années cinquante
  9   Boudoir : biscuit saupoudré de sucre glace
10   Riz-maïs : riz cuit avec du maïs
 
   *Gilbert Payet expose actuellement et jusqu'au 30 octobre 2016 à la galerie "le Hang Art" à
    St Pierre au rez de chaussée de la capitainerie du port. Thème "créolité diversité".
    Exposition collective entrée libre et gratuite.

 

Sortie juillet 2016

Le 2 Juillet dernier,

nous marchions entre le Tremblet (Vieux Port)

et Saint Philippe.

Voici quelques souvenirs de cette sortie !

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et, pour le supplément exceptionnel cliquer  ==> ici

 

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